7 mai 1995, après deux tentatives infructueuses, Jacques Chirac est enfin élu président de la République. Il a vaincu la gauche, mais il a surtout vaincu le pire des adversaires : Édouard Balladur son ami, son conseiller, l'homme qu'il a placé à Matignon deux ans plus tôt dans l'espoir qu'il lui prépare le terrain, et dont personne ne soupçonnait les visées élyséennes... En 1995, la France a connu l'élection présidentielle la plus inattendue et la plus mouvementée de ces dernières décennies. Au coeur de la campagne, le combat fratricide entre ces deux hommes issus du même camp : Jacques Chirac et Edouard Balladur. Entre coups bas, mensonges et "affaires", c'est toute la droite s´est déchirée comme rarement dans son histoire lors de cette bataille à ciel ouvert. À base d'archives jubilatoires et d'interviews savoureuses avec les principaux protagonistes et observateurs de l´élection de 1995, cette comédie du pouvoir raconte un moment-clé de l'histoire de la Ve République, qui a tenu en haleine les Français au jour le jour.
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00:00:007 mai 1995, Jacques Chirac, patron du RPR et candidat de la droite, est élu président de la République.
00:00:18Dans les rues de Paris, il s'abandonne à l'ivresse de la victoire.
00:00:23Et quelle victoire ! Quelles épreuves ont duré !
00:00:30Il vient de battre Lionel Jospin, le candidat de la gauche, mais surtout au premier tour, il a triomphé dans le pire des combats politiques.
00:00:40Celui qu'il a mené contre son fidèle conseiller et ami de 30 ans, Edouard Balladur.
00:00:48En politique, chacun sait que les amitiés les plus solides ne résistent ni aux circonstances, ni aux ambitions.
00:00:55En se portant candidat, Edouard Balladur a brisé un tabou chez les gaullistes.
00:01:04Il a remis en cause la légitimité du chef.
00:01:10On peut donc s'interroger sur les raisons qui l'ont poussé, au prix de la trahison, à affronter celui dont il avait servi la cause pendant tant d'années.
00:01:18Tout commence sept ans plus tôt, le 8 mai 1988, un soir d'élections présidentielles aussi.
00:01:44François Mitterrand vient d'être reconduit pour la seconde fois à la magistrature suprême.
00:01:51Et pour la seconde fois, Jacques Chirac est battu, cette fois lourdement.
00:01:56Derrière le sourire de façade, la potion est amère.
00:02:00Voilà le lion blessé, réfugié dans sa tanière à l'hôtel de ville de Paris, dont il est maire depuis dix ans.
00:02:05Nous étions sous le choc après la défaite de Jacques Chirac et le doute était dans tous les esprits.
00:02:14C'était un Chirac qu'on ne connaissait pas.
00:02:19Il semblait agar.
00:02:20Lointain, on lui parlait, on avait l'impression qu'il n'entendait pas ce qu'on lui disait.
00:02:31C'est plus qu'un échec, c'est un traumatisme.
00:02:34Il se retrouve, Jacques Chirac, par terre, dans la poussière pleine, la bouche, chaos, déprimé.
00:02:39Il va à un moment même songer à abandonner quasiment la vie politique.
00:02:43Dans son propre camp, on dit beaucoup, il va nous emmener dans le mur.
00:02:48Il est trop énergique, trop à droite, trop énervé.
00:02:53Voilà, donc c'est une image assez ambivalente.
00:02:57Cette défaite de Jacques Chirac arrive après deux ans d'une cohabitation difficile avec François Mitterrand,
00:03:02dont il était le premier ministre entre 1986 et 1988.
00:03:08Édouard Balladur était alors son ministre de l'économie.
00:03:13Leur complicité remonte aux années 70.
00:03:17Tous deux jeunes énarques sont alors conseillers de Georges Pompidou, leur père en politique.
00:03:24Cette loyauté partagée est le ferment d'une amitié de 30 ans.
00:03:28Une amitié précieuse à Jacques Chirac au lendemain de cette défaite.
00:03:33À cette époque-là, il s'adore.
00:03:35On pourrait même dire qu'il s'aime carrément.
00:03:38C'était vraiment une entente, une entente merveilleuse.
00:03:41Les deux hommes se complétaient. Au fond, Chirac avait une admiration éperdue pour Édouard Balladur.
00:03:46Jacques Chirac a besoin de quelqu'un qui le tire vers le haut et qui le considère comme intellectuellement supérieur à lui.
00:03:54Balladur avait une idée assez précise des qualités de Jacques Chirac.
00:04:01Il voyait bien le combattant, le militant, le gros travailleur.
00:04:09Mais il avait aussi senti les défauts. Il avait senti le côté un peu improvisé, un peu activiste.
00:04:14Et il a fait partie, je crois, de ces gens qui estiment qu'en fait, ils vont piloter le bel animal.
00:04:22Jacques Chirac ne prenait plus aucune décision sans se tourner vers Édouard.
00:04:28Chaque fois, il disait, on va demander à Édouard. Il faudra voir ça avec Édouard.
00:04:32Tiens, allez voir Édouard pour ça.
00:04:33Édouard Balladur exigeait toujours de voir Jacques Chirac en tête à tête.
00:04:36Et on disait même à ce moment-là qu'il avait pris son cerveau en otage.
00:04:40Enfin, c'était vraiment une prégnance trop forte.
00:04:42Dans la perspective des élections législatives de 1993, qui s'annoncent compliquées pour les socialistes au pouvoir,
00:04:50le tandem Chirac-Balladur semble parfait pour gérer une probable cohabitation.
00:04:57Seulement voilà, Jacques Chirac, chef incontesté de la droite, n'est pas chaud pour devenir, encore une fois, le premier ministre de François Mitterrand.
00:05:05Jacques Chirac n'a pas voulu retourner en 1993 au charbon pour une raison simple.
00:05:14C'est qu'il avait fait le diagnostic toujours vérifié, que Matignon était finalement la plus mauvaise façon d'être un escalier vers la présidence de la République.
00:05:30On s'y faisait beaucoup d'ennemis. C'était quelque chose qui vous carbonisait.
00:05:35Et ça, je dirais que c'était l'expérience de la première cohabitation.
00:05:41Et cette expérience, il ne voulait pas la revivre.
00:05:44C'était une décision arrêtée.
00:05:46Et je crois que personne ne pouvait le faire revenir sur cette décision.
00:05:52Cette position irrévocable de Chirac place Édouard Balladur en pôle position pour accéder à Matignon.
00:05:59Il se prépare donc.
00:05:59Je me suis mis au travail pour réfléchir avec un certain nombre de personnes à l'avenir et à ce qu'il conviendrait de faire dans le domaine économique, social, de la sécurité, de la politique étrangère.
00:06:18Je crois que ce travail a été utile parce que j'avais assez clairement dans l'esprit ce que je voulais faire.
00:06:25Édouard Balladur loue des locaux dans Paris.
00:06:27Il constitue une équipe d'experts et de conseillers.
00:06:30Bref, il tisse sa toile.
00:06:32Le jeu d'Édouard Balladur a pu en troubler un certain nombre, d'autant qu'il apparaissait comme, finalement, le premier lieutenant de Jacques Chirac, procédant toujours avec une grande déférence à son égard.
00:06:49Même si un certain nombre d'entre nous, plus habitués à la chose politique ou à la chasse politique, s'en méfiaient.
00:07:00Cette méfiance, elle existait depuis longtemps.
00:07:02Et les contacts que j'avais pu avoir, les contacts personnels avec Édouard Balladur, ne me faisaient que renforcer cette méfiance.
00:07:10J'ai essayé, par tous les moyens, de mettre en garde Jacques Chirac, mais il ne voulait pas l'entendre.
00:07:18Et il me disait, non, tu te trompes.
00:07:23Jacques Chirac avait toutes les raisons de croire qu'Édouard Balladur resterait le parfait lieutenant jusqu'au bout.
00:07:30Car trois ans plus tôt, en octobre 1990, dans l'émission d'Anne Sinclair, Édouard Balladur avait pris une sorte d'engagement.
00:07:37S'il doit y avoir une prochaine cohabitation, il serait souhaitable, pour que le climat soit plus serein et la vie plus apaisée,
00:07:46que le Premier ministre ne fût pas candidat à l'élection présidentielle.
00:07:50Et qu'ils le disent dès le départ.
00:07:51Je ne vois pas comment un homme pourrait se présenter devant les Français en 1993,
00:07:57leur dire, je ne serai pas candidat dans deux ans, et l'être.
00:08:03Ce serait manquer à sa parole.
00:08:04Et s'il l'était, on lui en tiendrait rigueur, et ce serait normal et justifié.
00:08:12Voilà ma réponse.
00:08:13À propos des candidats déjà...
00:08:15Il ne faut pas, pardon, je vous interromps, il ne faut pas abuser du cynisme en politique.
00:08:19Il faut aussi, de temps à autre, tenir ses engagements et être un homme de vérité.
00:08:24Cette déclaration qui a été faite par Édouard Balladur à Anne Sinclair
00:08:28est une déclaration que nous avons entendue plusieurs fois dans le bureau de l'hôtel de ville de Jacques Chirac.
00:08:35Il était bien entendu qu'Édouard Balladur serait Premier ministre,
00:08:39mais qu'il ne serait pas candidat à l'élection présidentielle.
00:08:41Ça, c'était écrit dans le marbre.
00:08:44Et je crois même que c'était ce que pensait aussi Édouard Balladur,
00:08:49que, allant à Matignon, il ne pense pas franchir une première étape pour monter ensuite à l'Élysée.
00:08:55Il est très heureux d'être Premier ministre,
00:08:57et il pense tout à fait légitime que ce soit, à ce moment-là, Jacques Chirac qui soit candidat présidentiel.
00:09:04Quand je lui ai posé la question, d'ailleurs à Jacques Chirac, je lui ai demandé
00:09:07« Mais est-ce que vous avez fait un pacte avec Édouard Balladur ? »
00:09:11Et il m'a dit « Ce n'était pas un pacte écrit, mais nous avions un engagement.
00:09:16Nous avions un engagement ensemble, à lui Matignon, à moi l'Élysée. »
00:09:19C'est un bobard.
00:09:22C'est un bobard qui a été complaisamment répandu.
00:09:27Je vais vous dire comment les choses se sont passées.
00:09:28Dans la conversation que nous avions eue le samedi,
00:09:32qui avait précédé le deuxième tour des élections législatives, en 1993,
00:09:37Chirac m'avait dit « Si vous êtes Premier ministre,
00:09:42est-ce que vous soutiendrez ma candidature à l'élection présidentielle ? »
00:09:46Et je lui avais répondu « Mon soutien dépendra du soutien que vous apporterez vous-même
00:09:54à mon action à la tête du gouvernement. »
00:09:57Voilà quel était le, je dirais, le décor.
00:10:01Le rideau s'ouvre enfin. La pièce peut se jouer.
00:10:04Elle commence par une défaite historique de la gauche aux législatives.
00:10:08Elle réalise son plus mauvais score depuis un siècle.
00:10:12Avec 247 députés, le RPR devient le premier parti de France.
00:10:17François Mitterrand doit se résoudre, pour la seconde fois, à une cohabitation.
00:10:21Il lui faut choisir un premier ministre.
00:10:25Comme Jacques Chirac a fait savoir qu'il n'accepterait pas Matignon, le choix est réduit.
00:10:34Il y avait un enthousiasme dans le pays.
00:10:36On ne parlait que de Baladur.
00:10:38Baladur était le sauveur, l'homme qui montait, etc.
00:10:43Et donc, Mitterrand était très à l'écoute de tout ce qui se passait dans le pays.
00:10:49Et il s'est dit, au fond, c'est pas mal, ça fera un anti-Chirac.
00:10:53Mitterrand ne pouvait qu'appeler Baladur.
00:10:55Et dans ces conditions, les différentes familles de la droite le voient évidemment comme légitime.
00:11:01Il y a l'accord formel de Jacques Chirac, il y a la volonté de Baladur d'y aller,
00:11:06et il y a l'acceptation souriante de François Mitterrand.
00:11:10Le dimanche soir, le président de la République me dit,
00:11:14vous allez demander à rencontrer Edouard Baladur, envoyé par moi, et vous me rendrez compte.
00:11:22Edouard Baladur me reçoit le lundi matin au Plaza.
00:11:26Edouard Baladur, lui, a une version un peu différente de cet épisode.
00:11:31Et donc, sans même avoir pris contact avec moi,
00:11:35Mitterrand a déclaré le soir à la télévision qu'il me nommait premier ministre.
00:11:40Ce qui a fait que, je suis donc, il m'a invité à aller le voir le soir.
00:11:47M. Mitterrand m'a dit au cours de notre conversation,
00:11:50que, ben, il ne serait guère plus qu'un notaire.
00:11:54Et que c'est moi qui aurais l'essentiel des décisions.
00:11:58Alors, je lui ai répondu qu'il serait certainement davantage et que mon intention était tout à fait de respecter ses attributions,
00:12:06dès lors que lui-même avait déclaré que la gestion de la politique d'étrangère et de défense était un domaine partagé.
00:12:15Je confie dès ce soir la charge de premier ministre à M. Edouard Baladur.
00:12:25Je souhaite qu'il soit en mesure de former une équipe gouvernementale solide et cohérente dans les plus brefs délais.
00:12:35Edouard Baladur s'attèle aussitôt à cette tâche dans laquelle Jacques Chirac entend prendre sa part et placer ses hommes.
00:12:42Jacques Chirac pensait qu'Edouard Baladur allait lui demander plus que des conseils.
00:12:59Jacques Chirac était même persuadé que le gouvernement allait se composer à la mairie de Paris.
00:13:04Et d'ailleurs, des listes avaient été faites où Jacques Chirac avait distribué les rôles parmi ses compagnons, ses amis.
00:13:16Et évidemment, Edouard Baladur n'a rien demandé à Jacques Chirac.
00:13:20Il a composé son gouvernement, qu'il est allé présenter à François Mitterrand.
00:13:25J'ai tenu à ce que les choses fussent parfaitement claires dès le départ,
00:13:28puisque M. Mitterrand m'a désigné un lundi soir et le mardi soir, mon gouvernement était fait, constitué.
00:13:37Et je l'ai fait et je l'ai constitué sans demander l'avis de personne,
00:13:43parce que j'estime que c'était ma responsabilité.
00:13:45Et dans ce gouvernement, on doit dire que la part qui était faite aux proches de Jacques Chirac était vraiment très faible.
00:13:53En dehors d'Alain Juppé, Jacques Toubon et Roger Romani,
00:13:57il n'y avait pas grand monde.
00:14:02Edouard Baladur n'a pas cherché à honorer les fidèles de Jacques Chirac.
00:14:06Il fait la part belle aux libéraux et aux centristes.
00:14:09Simone Veil à la santé, Pierre Mehennerie à la justice, François Lehotard à la défense.
00:14:16Charles Pasqua, homme clé du RPR, est promu ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur.
00:14:21Et le jeune Nicolas Sarkozy obtient son premier poste ministériel au budget.
00:14:27Il est aussi porte-parole du gouvernement.
00:14:30À l'hôtel de ville de Paris, Jacques Chirac ronge son frein,
00:14:36tandis qu'à l'Élysée, François Mitterrand reçoit pour la première fois le gouvernement d'Edouard Baladur.
00:14:41Quand il a eu le premier conseil des ministres avec toutes les gens de droite,
00:14:48vous savez cette photo, on le voit où il est calé dans son fauteuil comme ça,
00:14:51puis il a l'œil noir, il regarde autour.
00:14:54Je lui ai dit, à quoi vous avez pensé ?
00:14:55Eh bien, je vais vous dire.
00:14:57Quand je l'ai vu, j'étais là, tout seul, je les ai regardés,
00:15:00je me suis dit, qu'est-ce que je fais là ?
00:15:03Ou bien plutôt, qu'est-ce qu'ils feront là ?
00:15:06Dans une ambiance compassée et glaciale,
00:15:1330 ministres de droite entourent le président socialiste.
00:15:16Le silence se fait pesant avant que les caméras ne soient invitées à sortir de la salle.
00:15:22Certains jeunes nouveaux ministres trouvent quand même le temps de prendre la pause devant les photographes.
00:15:28Ce gouvernement rajeuni se met au travail avec un potentiel de satisfaction exceptionnel.
00:15:33Pour beaucoup, Balladur a le profil du sauveur tant attendu
00:15:39qui pourrait incarner une certaine politique libérale.
00:15:42C'est une lune de miel pour l'opinion.
00:15:45L'opinion a trouvé à droite quelqu'un qui soit à la fois assez modéré,
00:15:51assez visiblement compétent,
00:15:54pour qu'il puisse se reconnaître en lui avec une certaine tranquillité.
00:15:58Et en même temps, il a une ligne directrice assez claire.
00:16:00Il veut continuer à construire une France raisonnablement insérée dans l'Europe.
00:16:06Il accepte la logique de la monnaie unie qui gère très habilement les choses.
00:16:11Et les Français comprenaient, savaient que, en réalité, c'était quelque part lui qui avait raison.
00:16:17Je pense que les Français ont été sensibles au fait que je disais les choses telles qu'elles étaient.
00:16:23J'étais en face d'une situation difficile.
00:16:25Je vous rappelle quand même que nous avons connu une crise monétaire très grave.
00:16:29Je pense que le pays a eu le sentiment qu'on lui parlait le langage de la vérité
00:16:33et qu'on agissait conformément à ce qu'on avait dit.
00:16:38Cette orientation européenne et libérale du gouvernement agace Philippe Seguin,
00:16:43ténor de la droite sociale qui réagit frontalement.
00:16:46La préoccupation de l'emploi demeure seconde dans les choix qui sont effectués,
00:16:52reléguée qu'elle est après la défense de la monnaie,
00:16:56la réduction des déficits publics, le productivisme ou la promotion du libre-échange.
00:17:02Philippe Seguin vient de lâcher une bombe dans les pieds du Premier ministre
00:17:06deux mois à peine après son arrivée à Matignon.
00:17:11Édouard Balladur, bien sûr, a demandé immédiatement à Jacques Chirac
00:17:15de désavouer Philippe Seguin ce que Jacques Chirac n'a pas fait.
00:17:20Jacques Chirac fait des déclarations qui ne vont pas dans le sens de la solidarité
00:17:24avec le Premier ministre et avec le gouvernement.
00:17:26Et donc Édouard Balladur, à ce moment-là, considère cela comme une trahison,
00:17:30comme une trahison de l'intérêt général et comme une trahison en plus tout court.
00:17:35Donc c'est à partir de ce moment-là que les relations commencent à se dégrader.
00:17:38Il s'est installé entre nous, je pense, une sorte d'incompréhension réciproque,
00:17:44parce que je ne pouvais pas manquer de constater que souvent ce que je faisais
00:17:51était critiqué par les responsables du parti qu'il dirigeait.
00:18:01Et d'autre part, lui, je pense, ressentait avec difficulté
00:18:08le fait qu'étant Premier ministre, j'entendais prendre mes décisions librement.
00:18:15Cette position se traduit rapidement et concrètement.
00:18:18Le Premier ministre ne prend plus Jacques Chirac au téléphone.
00:18:22Il y a une liaison ministérielle entre le Premier ministre Édouard Balladur et Jacques Chirac.
00:18:27Édouard Balladur, il mettra fin très, très rapidement.
00:18:30Et il n'aura même plus le moindre égard.
00:18:34Édouard Balladur ne le considérera pas, ne l'informera de rien.
00:18:38Nos contacts, nous en avions, mais relativement rares, si vous voulez.
00:18:43Il y avait un déjeuner de la majorité tous les mardis, je crois.
00:18:49Et puis, nous avions de temps à autre des conversations, mais, soyons clairs,
00:18:54elles étaient de moins en moins chaleureuses.
00:18:57Et c'est à partir de ce moment-là qu'il a compris
00:18:59qu'Édouard Balladur avait décidé de voler de ses propres ailes
00:19:04et qu'il serait certainement candidat à l'élection présidentielle.
00:19:09Mais, l'ayant compris, il nous a donné des instructions en disant
00:19:16« Surtout, ne jetez pas d'huile sur le feu. »
00:19:21L'élection présidentielle, c'est autre chose.
00:19:23On verra le moment venu.
00:19:25Très vite, tout le monde va se rendre compte
00:19:28qu'Édouard Balladur ait bien décidé d'aller à la présidence.
00:19:33On se souvient, par exemple, de Nicolas Sarkozy.
00:19:37Quand il dit « On ne choisit pas entre papa et maman »,
00:19:40un journaliste qui lui demande qui il préfère pour l'élection présidentielle
00:19:44comme candidat de Jacques Chirac ou d'Édouard Balladur,
00:19:47le simple fait de ne pas dire tout de suite « Mais bien sûr, c'est Jacques Chirac ! »
00:19:52C'est déjà un signal faible qui montre bien les choses.
00:19:58En septembre 1993, lors des journées parlementaires du RPR à La Rochelle,
00:20:03la tension entre Chiracien et Balladurien est palpable.
00:20:10Mais l'état-major du RPR n'a alors qu'une obsession,
00:20:16sauver les apparences.
00:20:18Jacques Chirac s'y emploie avec le talent qu'on lui connaît.
00:20:22Ceux qui s'inquiètent à l'idée que la discorde pourrait s'introduire
00:20:30entre Édouard Balladur et moi, peuvent être tout à fait rassurés.
00:20:35Nos rapports ne s'inspiront jamais dans un contexte de conférence.
00:20:40Le bal des hypocrites tourne à la farce lorsque les deux hommes marchent de concert
00:20:46devant les caméras de télévision.
00:20:54On veut organiser un cheminement pour bien montrer que les deux compères s'entendent
00:21:00toujours bien et que ce qui s'est raconté s'est exagéré, s'est excessif et chacun sera
00:21:05le moment venu dans son rôle.
00:21:07C'était une situation qui était un peu fausse, si vous voulez, un peu difficile à gérer.
00:21:12Et bon, enfin, on en a à mon avis plus parlé qu'il n'était nécessaire.
00:21:17Alors bien entendu, toutes les chaînes de télévision et tous les journaux ont pris les images
00:21:22et les photos de ce tête-à-tête entre Jacques Chirac et Édouard Balladur.
00:21:29Je dois dire que si on lisait les commentaires, on ne se faisait aucune illusion.
00:21:34Ce n'était qu'une apparence.
00:21:35Il y a quelque chose qui ne va pas.
00:21:37On sent que Balladur est sur une trajectoire, que Chirac ne la contrôle plus.
00:21:43Mais Chirac est-il même persuadé à ce moment-là que l'autre va y aller ?
00:21:49Pas sûr.
00:21:50Je n'avais pas l'intention de me présenter à l'élection présidentielle.
00:21:53Quand vous êtes arrivé à Matignon, vous n'aviez pas l'intention ?
00:21:56Absolument.
00:21:57Et ce qui m'en a convaincu, c'est, je vais vous dire ce que c'est,
00:22:01c'est la constatation qu'il y avait un désaccord de fond, finalement,
00:22:06sur la politique qu'il fallait mener pour notre pays.
00:22:09Fallait-il une réforme libérale pour le rendre plus fort, ce qui était ma conception ?
00:22:14Fallait-il au contraire continuer dans une politique, disons, étatiste et redistributrice
00:22:20qui négligeait les déficits et les réformes nécessaires pour les empêcher ?
00:22:26Ce qui était une autre politique.
00:22:28Certes, c'est une guerre des droites qui se dessine.
00:22:38C'est aussi un conflit entre deux hommes qui, chacun de leur côté, se sentent trahis.
00:22:43Jacques Chirac, bien sûr.
00:22:46Édouard Balladur aussi.
00:22:48Il a compris que la machine RPR risque de jouer contre lui.
00:22:51Mais le temps presse, car la maladie de François Mitterrand progresse au point de faire croire à certains
00:22:58qu'il n'achèvera pas son mandat.
00:23:00Bonjour, monsieur le Premier ministre.
00:23:01Bonjour, monsieur le Président.
00:23:03Il a été souvent dans un état de santé qui me rendait difficile une activité très, très forte par moment.
00:23:12Je n'en ai jamais parlé à qui que ce soit et je n'ai jamais voulu, comment vous dire, l'exploiter à mon profit,
00:23:21ce qui était parfaitement indécent.
00:23:23Il y a forcément à droite des gens qui se disent, bon, François Mitterrand, il résiste, il tient le coup, il est courageux,
00:23:29mais il peut disparaître d'un jour à l'autre quand même.
00:23:32Donc, il faut qu'on soit prêt, peut-être sans attendre 95.
00:23:34Donc, ceux qui sont baladuriens et qui le deviennent de plus en plus,
00:23:38au fur et à mesure que Baladur devient une option politique en tant que tel,
00:23:41du coup, qu'on s'organise vite en tant que baladurien.
00:23:45Ceux qui sont chirakiens et qui sont furieux, stupéfaits, en tout cas hostiles à cette montée en puissance de Baladur,
00:23:53c'est qu'il ne faut pas les laisser faire, il faut être pris aussi.
00:23:55Mais c'est Édouard Baladur qui se trouve dans la situation la plus favorable.
00:24:00Un président au seuil de sa vie dans le palais de l'Élysée,
00:24:03un Chirac sur la touche qui n'est plus écouté.
00:24:07Une voix royale, ou presque, s'ouvre devant lui.
00:24:11Il a commencé par séduire les journalistes, puis les intellectuels, puis les élus,
00:24:17et enfin tout ce qui comptait dans les appareils politiques.
00:24:19En leur promettant des postes, en leur offrant, puisque maintenant il avait Matignon,
00:24:24il s'est attaché à un certain nombre de fidélités.
00:24:26Nicolas Sarkozy, très vite avec Bazir, le directeur de cabinet d'Édouard Baladur,
00:24:35ont été en quelque sorte les moteurs de l'équipe de mise en place de la candidature d'Édouard Baladur.
00:24:44Alors c'était des déjeuners en ville qui se faisaient dans les grands restaurants.
00:24:48On parlait très haut, très fort, pour que les tables voisines, on puisse entendre les propos qui étaient tenus.
00:24:56Et ces propos, c'était « Chirac est nul », « il est foutu », « il est complètement ramolli »,
00:25:05« Édouard, il est porté par le peuple », « il a une popularité qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer »,
00:25:11ce qui n'était pas faux dans les apparences.
00:25:13Édouard Baladur essayait de nous séduire, et il essayait de nous séduire en faisant du Chirac,
00:25:18mais n'est pas Chirac qui veut.
00:25:21Et je me souviens d'un déjeuner de parlementaires à Matignon,
00:25:24qui ne manquait pas de sel, c'est le cas de dire,
00:25:27« Nous voyons arriver à table un somptueux cassoulet servi dans des cassolettes de terre ».
00:25:35Et on se disait « Vraiment, c'est sympathique, on est bien reçu,
00:25:39on avait l'impression de se retrouver à la mairie de Paris avec Jacques Chirac ».
00:25:43« Pâte à trace », on voit arriver une assiette sur laquelle il était servi une petite noix de filet de bœuf sans sauce
00:25:53avec quelques haricots verts croquants, et le Premier ministre se fait servir ce plat.
00:25:59Et on s'est tous regardés, on se dit « Vraiment, il nous prend pour des bouseux ».
00:26:04Malgré ces maladresses évidentes, la méthode Baladur porte ses fruits.
00:26:12Même des Chirakiens convaincus changent de camp.
00:26:14Ils stimulent chez Baladur, s'il en est encore besoin, l'envie de se lancer dans la course.
00:26:19Il voyait des gens autour de lui, notamment parmi ses ministres,
00:26:27qui étaient réputés proches de Chirac, et qui lui disaient pratiquement tous les jours
00:26:32« Monsieur le Premier ministre, c'est à vous d'y aller.
00:26:36Jacques Chirac n'y arrivera pas, il va en se prendre les pieds dans le tapis,
00:26:40il va faire une campagne incontrôlable.
00:26:43Avec vous, la France sera sûre, nous aussi ».
00:26:45Baladur a donné l'impression, à Méhaniori, à Simone Veil, à Sarkozy, aux autres,
00:26:54qu'il était évidemment l'homme qui serait président, que c'était absolument inévitable.
00:27:01Et alors, s'agissant de Simone Veil, c'était très précis.
00:27:04Moi, j'étais dans la même situation qu'elle, nous avions des convictions.
00:27:08Nous avions le sentiment que Baladur voyait juste pour le pays,
00:27:12qu'il savait la difficulté des réformes, il savait que les réformes seraient impopulaires.
00:27:18Donc, il était modeste.
00:27:19En réalité, ce qui est extravagant, c'est que la qualité de Baladur, c'était la modestie, l'humilité.
00:27:25Alors qu'il était jugé comme arrogant et vaniteux par les Français,
00:27:29ses qualités réelles étaient à l'opposé.
00:27:32Et Chirac, avec son air de tranche-montagne,
00:27:35était en réalité quelqu'un qui racontait des histoires.
00:27:39Jacques Chirac, le vétéran qui porte ses deux échecs à la présidentielle comme une croix,
00:27:45semble au bout du rouleau.
00:27:47Derrière lui, les rangs s'éclaircissent.
00:27:49C'était terrible de se rendre à l'hôtel de ville dans ces années-là pour aller visiter Chirac.
00:27:57Parce qu'autant autrefois, avant, il y avait à l'hôtel de ville foule de courtisans
00:28:02qui se pressaient pour aller voir le futur président de la République,
00:28:06autant on trouvait ces grands salons déserts.
00:28:08Jacques Chirac était tout seul.
00:28:10Il était abandonné de tout, sauf comme il disait de son chauffeur, de sa fille,
00:28:14de Jacques Toubon et de Bernard Ponce et de quelques autres rares hommes qui étaient encore fidèles.
00:28:18Nous avons eu des moments de vide.
00:28:23Je dois vous dire que quand il me disait qu'il avait au sein du gouvernement des droits maladurs de solide soutien,
00:28:32je lui disais « Tu peux me les énumérer ? »
00:28:34Je me souviens des journées parlementaires de Colmar en 1994,
00:28:40à la rentrée des vacances, c'était absolument épouvantable.
00:28:43J'ai assisté à une scène où c'était quasiment le désert autour de Jacques Chirac.
00:28:50Désert des élus qui étaient là, sénateurs et députés, désert des journalistes qui n'attendaient qu'une chose,
00:28:57l'arrivée en vainqueur du Premier ministre, d'Edouard Balladur.
00:29:00Durant ces deux jours, l'hostilité est évidente entre les clans Chirac et Balladur.
00:29:07Il n'est plus question de faux-semblants.
00:29:09Les couteaux sont tirés et la haine se lit sur les visages.
00:29:14C'est Balladur qui passe à l'offensive.
00:29:16Ce qui fait une famille politique forte, au-delà des convictions partagées, c'est aussi le succès.
00:29:27Il faut nous souvenir des leçons du passé.
00:29:30La dernière fois qu'un gaulliste a été élu président de la République, c'était Georges Pompidou.
00:29:35C'était en 1969, c'était il y a un quart de siècle.
00:29:38C'est pour moi un souvenir assez difficile.
00:29:47Il était près de minuit.
00:29:50Jacques Chirac était assis tout seul sur un banc, devant l'hôtel.
00:29:55Et je m'assis à côté de lui.
00:29:58Et tous les deux, nous nous mettons à parler.
00:30:00Je lui ai dit, tu devrais dire que tu ne vas pas pardonner à ceux qui t'auront trahi.
00:30:08Et il m'a dit à ce moment-là, je ne pardonnerai pas.
00:30:15Les sondages en faveur de Balladur oscillent alors entre 25 et 30%.
00:30:19Jacques Chirac et sa garde rapprochée sont atterrés.
00:30:25En voyant la montée inexorable d'Edouard Balladur dans les sondages,
00:30:33et le fait que sa candidature devenait en quelque sorte quelque chose d'imparable.
00:30:40Un article dans Le Monde était paru avec Sarkozy disant,
00:30:44mais il pourrait même être élu au premier tour s'il était seul candidat.
00:30:49Tous les Chirakiens pressent Jacques Chirac de se prononcer et de dire qu'il est candidat.
00:30:57Jacques Chirac a annoncé sa candidature, parce que nous l'avons un peu pressé,
00:31:01le 4 novembre 1994, dans la Voix du Nord.
00:31:07Au lendemain de son annonce de candidature,
00:31:11les sondages étaient très mauvais pour lui.
00:31:13Et ils étaient très bons pour Edouard Balladur.
00:31:18La plupart des pronostiqueurs se disent, bon, il est candidat,
00:31:21il va y avoir un match entre eux, mais Chirac va perdre.
00:31:25Donc malgré cette faveur des commentateurs sur le fait même de se présenter,
00:31:31la façon dont il le fait, les pronostics ne sont pas bons.
00:31:35Les proches d'Edouard Balladur exultent.
00:31:38Et l'un d'eux, Charles Pasquois, ministre de l'Intérieur,
00:31:41donne le coup de grâce une semaine plus tard.
00:31:44Cela devait être le 10 novembre 1994.
00:31:49J'étais seul avec Jacques Chirac dans son bureau de l'hôtel de ville.
00:31:53Il m'a dit, Charles vient de me téléphoner pour m'annoncer qu'un sondage
00:31:57va être publié demain matin, qui me donne 10%.
00:32:01Et en raison de l'amitié qu'il me porte, il me conseille de me retirer.
00:32:09Ça n'était pas très amical.
00:32:12Ça a fait mal à Jacques Chirac et je crois qu'il en a conservé la marque longtemps.
00:32:19Ce n'est pas tout.
00:32:20Le 9 janvier 1995, Jacques Chirac subit un nouvel affront.
00:32:24Mais cette fois, c'est en direct à la télévision, à une heure de grande écoute.
00:32:29Quoi qu'il arrive, j'irai jusqu'au bout dans cette campagne présidentielle, M. Chirac.
00:32:35Vous n'avez pas l'intention de renoncer ?
00:32:37Vous irez bien jusqu'au bout ?
00:32:38C'est la question, c'est vrai que certains s'interrogent.
00:32:41Vous parlez sérieusement là ou vous faites de l'humour ?
00:32:43De temps en temps, on se demande de temps en temps de détermination.
00:32:45Quoi qu'il arrive ?
00:32:46Écoutez, soyons sérieux, je vous en prie.
00:32:50Bien, M. Chirac, je vous remercie.
00:32:51Merci beaucoup.
00:32:53Dans la foulée, le journal Le Monde publie un article du patron de la Sofresse, un institut de sondage.
00:32:59Le titre ?
00:33:00Pour l'opinion, l'élection présidentielle est déjà jouée.
00:33:04La presse a été en effet très baladurienne.
00:33:08On avait le sentiment que les interviews de baladur, la présentation quotidienne des faits et gestes de baladur,
00:33:15étaient entourées d'enluminures, ce qui n'était pas le cas pour les autres candidats.
00:33:19Il y a eu comme ça une espèce d'homme en majesté sur son piédestal, traversant, marchant quasi sur l'eau,
00:33:28et qui ne pouvait qu'aller vers une grande victoire.
00:33:30Évidemment, c'est une belle histoire à raconter.
00:33:32Dans l'exaltation de cette montée en puissance, Édouard Baladur annonce sa candidature depuis l'hôtel Matignon.
00:33:40Nous sommes le 18 janvier 1995.
00:33:43J'ai décidé de présenter ma candidature à la présidence de la République.
00:33:49C'est la confiance de nos concitoyens, maintenue depuis 20 mois.
00:33:53C'est la nécessité du rassemblement le plus large possible des Français qui me déterminent à solliciter leur suffrage.
00:34:03La candidature de baladur ne prend pas.
00:34:07D'abord, cette déclaration de candidature depuis l'hôtel Matignon.
00:34:11On sait que c'est très difficile dans l'imagerie de l'opinion publique de passer de Matignon à l'Élysée.
00:34:18Et précisément, il s'installe à Matignon et il s'installe en majesté dans les ors de la République,
00:34:24comme si tout naturellement, c'était à lui de passer d'un palais à l'autre.
00:34:30Son discours n'est pas d'une clarté formidable.
00:34:34On ne voit pas très bien à quoi correspond cette annonce de candidature.
00:34:38Bref, c'est une déception globale profonde.
00:34:43Le clan Chirac se saisit de l'occasion pour prendre l'avantage.
00:34:48A Bondy, lors d'un meeting, Philippe Seguin, avec sa fougue habituelle,
00:34:52ranime la flamme en brocardant le candidat baladur, présenté comme élu d'avance.
00:34:58Cette élection, quand vous mettrez-vous dans la tête qu'elle est finie avant même d'avoir commencé ?
00:35:06Le vainqueur, le vainqueur a déjà été désigné, proclamé, fêté, encensé, adulé.
00:35:22Il est élu, il n'y a pas à le choisir, il y a à le célébrer.
00:35:28Donc, ça n'est pas la peine, ça n'est plus la peine de vous déranger, circulez, il n'y a rien à voir.
00:35:37Ces mots piquent au vif les Français, et le programme social de Chirac, inaudible jusque-là, commence à prendre.
00:35:47Jacques Chirac se démarque du côté, j'allais dire, droite libérale que pouvait avoir Edouard Baladur.
00:35:55Lui, il revient sur une sorte, au fond, de gaullisme de gauche.
00:36:00La fracture sociale qu'il fallait réduire, qu'il fallait combattre,
00:36:03ça parlait à un beaucoup plus grand nombre qu'au fond, la continuité dans la gestion du pays qu'incarnait Edouard Baladur.
00:36:10Cette histoire de la fracture sociale, ça a fait la différence, non ?
00:36:14Je ne sais pas si c'était une formule, une formule, je dirais à la fois heureuse et malheureuse.
00:36:22Heureuse, puisqu'elle a plu, et qu'elle a été efficace.
00:36:26Et puis malheureuse, parce qu'on s'est aperçu, ensuite,
00:36:30que faute d'avoir une croissance suffisante, parce qu'on ne remettait pas de l'ordre dans les affaires du pays,
00:36:35la fracture sociale demeurait, elle demeure encore plus aujourd'hui.
00:36:40Mais pour l'heure, la campagne bat son plein, et les promesses du candidat Chirac portent leurs fruits.
00:36:47On entrevoit une lueur, le 28 ou le 29 janvier, sur un instrument d'études qui nous appartient,
00:36:54qui n'est pas du tout une intention de vote d'un sondage quantitatif publié dans la presse.
00:37:00Et c'est la première fois, depuis des mois et des mois, qu'on a cette lueur d'espoir.
00:37:04La légitimité de Balladur supposait que Chirac n'avait aucune chance.
00:37:08À partir du moment où Chirac n'avait aucune chance, tout le monde disait,
00:37:11« Oui, c'est normal, on ne va pas, on doit gagner, on va prendre celui qui gagne. »
00:37:17À partir du moment où ils étaient en concurrence,
00:37:19c'est évident qu'il y avait un avantage de légitimité pour Chirac,
00:37:22compte tenu des combats passés par rapport à Balladur,
00:37:25et compte tenu de ce qu'à tort ou à raison, l'opinion considérait que Balladur devait tout à Chirac.
00:37:30Le parcours électoral de Chirac prend un tour nouveau.
00:37:33Un livre, la France pour tous, un emblème, le pommier,
00:37:38transforme la figure du candidat.
00:37:40Et la télévision s'empare du personnage de façon inattendue.
00:37:43« Putain, j'ai une patate en ce moment, moi, je l'ai bouffée tous, j'ai la niaque, iloui ! »
00:37:49« Oui, oui, donc vendredi soir, vous avez présenté votre programme pour de Versailles. »
00:37:53« Oui, putain, j'ai fait un carton, moi, iloui, le carton que j'ai fait. »
00:37:57« Oui, mais c'est normal, il n'y avait que des gens du RPR. »
00:38:00« Ah ben justement, pas évident de faire un carton avec des gens du RPR quand on s'appelle Chirac en ce moment, hein. »
00:38:05« Mais bon, ils étaient comme fous, hystériques. Un carton ! »
00:38:09« Revenons à votre programme, tout le monde dit que c'est un peu anachronique, un peu démago, pour dire le mot. »
00:38:13« Non, c'est pas démago, c'est... c'est y'en a pour tous les goûts, quoi. Un patchwork. Un peu comme un buffet campagnard. »
00:38:20« Il y a tout en grande quantité pour tout le monde. Chacun prend ce qu'il aime autant qu'il veut. »
00:38:24« C'est ça, mon programme. Buffet campagnard, formule jusqu'à peu plus. »
00:38:28« Et vous pensez que ça peut suffire pour vous faire gagner ? »
00:38:30« Non, non. Si je pouvais gagner avec mes programmes, il y a longtemps que ça se saurait. »
00:38:35« Non, par contre, ce qui peut se passer, c'est que l'autre salopard, il perde. »
00:38:39« C'est pas dur. »
00:38:40« Je ne ferai pas d'attaque personnelle. »
00:38:44Jusque-là, il était un peu trop à bleur, un peu trop arrogant.
00:38:48Et cette fois-ci, il devenait Chirac sympathique.
00:38:52Sympathique comme il ne l'avait jamais été jusque-là.
00:38:55La lutte se déplace sur le terrain de l'image et de la communication.
00:39:00Et dans ce domaine, Édouard Balladur n'est pas le meilleur.
00:39:03Balladur, il souffre évidemment de cette image qu'il n'est pas quelqu'un qui vient du peuple,
00:39:10et que ça se voit, et même que ça s'entend beaucoup.
00:39:14Donc, tout ce qui peut aggraver ce trait, les erreurs de communication,
00:39:19Balladur descendant dans le métro,
00:39:20s'il y a un endroit où Balladur ne doit pas être à l'aise,
00:39:23c'est bien dans le métro parisien.
00:39:24Le dessin de Balladur sur une chaise à porteur de Plantu.
00:39:30Voilà, tout ça illustre un aspect de la personnalité de Balladur
00:39:35qui devient de plus en plus envahissant au fur et à mesure,
00:39:38pas seulement que les caricaturistes, les opposants le disent,
00:39:42mais au fur et à mesure que la campagne de Balladur lui-même semble le montrer.
00:39:47Il y a une photo d'un match où on le voit prendre son petit déjeuner,
00:39:51photo qu'il avait conçue pour montrer à quel point il était comme les autres,
00:39:54qu'il prenait un petit déjeuner le matin avant de partir au travail.
00:39:58Sauf que toute sa vaisselle en argent, cet apparat,
00:40:01signait la distance infinie entre lui et les Français
00:40:04et les Chiraciens ne se privaient pas de l'exploiter.
00:40:09Édouard Balladur s'est trouvé en terre étrangère
00:40:15dans cette campagne présidentielle.
00:40:18Jacques Chirac, lui, il s'était frotté à toutes sortes de campagnes
00:40:24législatives, dans un secteur très difficile.
00:40:28Il y avait 20 ans qu'il était là, sur le pont,
00:40:33à aller soutenir les uns et les autres,
00:40:36à taper dans le dos de l'élu conseiller général du coin,
00:40:41à connaître tout le monde, à boire des coups.
00:40:44Jacques Chirac, le grand arpenteur de la France,
00:40:48fait feu de tout bois et en matière d'électoralisme, il atteint des sommets.
00:40:52Moi, il n'est pas, monsieur.
00:40:53Ah oui, c'est bon, il n'est pas pour la santé.
00:40:55Jacques Chirac avait dit au début de cette campagne,
00:40:57« Je vous surprendrai par ma démagogie. »
00:41:00Il a été fidèle à son personnage extraordinaire,
00:41:06réquisitionné des logements à Paris pour loger des SDF,
00:41:11la dénonciation des technocrates,
00:41:14alors que Jacques Chirac n'était entouré que de technocrates.
00:41:17Alors, ça nous laissait un peu étonnés,
00:41:21mais en même temps, on était tout à fait entraînés.
00:41:26Dans cette surenchère, Édouard Balladur est dépassé.
00:41:30Lui, qui n'a jamais battu le pavé, se retrouve soudain acculé,
00:41:35contraint de faire ce dont il est incapable,
00:41:37sans même en comprendre les codes.
00:41:40Édouard Balladur cherchera à faire pop,
00:41:42il aura beaucoup de mal, pour être franc.
00:41:43Pourtant, il avait bien observé ce que faisait Jacques Chirac.
00:41:47Il s'escrimait à aller au contact, à jouer du corps à cœur,
00:41:51à serrer des mains,
00:41:52mais même quand il enlevait ses gants blancs,
00:41:54c'est comme s'il les avait encore.
00:41:55C'était pathétique de le voir s'adresser à des foules,
00:41:58de le voir faire les marcher,
00:42:00parce qu'il n'était pas à sa place jamais.
00:42:04Résultat, à deux mois du premier tour,
00:42:06des signes d'un fléchissement apparaissent dans les sondages.
00:42:10Et Édouard Balladur n'en prend pas la mesure.
00:42:14J'ai été le premier à publier un sondage.
00:42:17Tout à fait la fin de février, je pense,
00:42:18où Balladur se laisse dépasser par Jacques Chirac.
00:42:24Il est à ce moment-là à Chamonix,
00:42:27il se promène dans les rues,
00:42:28il y a une petite foule de journalistes,
00:42:30et quelqu'un lui dit,
00:42:31il paraît qu'il y a un premier sondage
00:42:33qui met Chirac devant vous,
00:42:34comment est-ce que vous réagissez ?
00:42:36Et Balladur répond, original.
00:42:39C'est tout le problème des premiers ministres
00:42:41qui sont candidats.
00:42:43Ils ont dans la tête leur bilan,
00:42:47ils sont habitués au fond à un discours assez technique.
00:42:49L'exercice de la présidentielle est totalement différent,
00:42:52c'est au fond une page blanche,
00:42:54un homme une page blanche,
00:42:55et il rencontre ses compatriotes
00:43:00ou il ne les rencontre pas.
00:43:01Je pense que l'erreur que j'ai commise,
00:43:05ça a été dans le courant du mois de février,
00:43:07de ne pas avoir donné assez de corps
00:43:10à mon projet d'avenir
00:43:12et de ne pas avoir été assez convaincant.
00:43:14Tellement les choses me semblaient évidentes,
00:43:16bref, je n'ai pas accordé
00:43:19à ce qu'il est convenu d'appeler la communication
00:43:21et l'organisation des choses,
00:43:23le temps et l'attention nécessaires.
00:43:26La présidence de la République, c'est une incarnation.
00:43:28Édouard Balladur n'a jamais réussi
00:43:30cette incarnation-là en campagne.
00:43:33Il n'incarnait pas quelqu'un
00:43:35qui serait la France
00:43:36et qui serait les Français.
00:43:41Balladur accumule les handicaps.
00:43:44Manque d'empathie avec les électeurs,
00:43:46de tempérament sur le terrain,
00:43:48mauvaise communication.
00:43:50Mais ce n'est pas tout,
00:43:51car pour se lancer dans un marathon électoral,
00:43:54il faut des moyens financiers
00:43:55à la hauteur de l'enjeu.
00:43:57C'est un message qui est tellement simple
00:44:00qu'il faut que les gens le retiennent
00:44:01pour être élu.
00:44:03Il faut dépenser de l'argent.
00:44:04Comme on n'a pas l'argent,
00:44:06il faut le récupérer où on peut.
00:44:08Et où on peut,
00:44:09c'est la poche du contribuable
00:44:10via les factures,
00:44:11les fausses factures,
00:44:13les pourcentages prélevés
00:44:14sur les marchés publics.
00:44:15Je rappelle,
00:44:16pour reprendre quand même
00:44:17l'HLM de Paris,
00:44:18que toutes les sociétés
00:44:19qui ont eu des marchés,
00:44:20enfin, toutes,
00:44:2190% des sociétés
00:44:22qui ont eu des marchés
00:44:23avec l'office HLM de Paris
00:44:24étaient dirigées
00:44:25par des chefs d'entreprise
00:44:27qui étaient membres du RPR.
00:44:29En conséquence,
00:44:31le RPR aux mains de Chirac
00:44:32prélève depuis bien longtemps
00:44:33sa part sur les marchés publics
00:44:35attribués par les municipalités
00:44:37et collectivités locales
00:44:38qu'il détient.
00:44:40Jacques Chirac a les finances du RPR
00:44:43et les finances de la mairie de Paris.
00:44:46Donc, c'est un élément
00:44:47tout à fait important
00:44:49pour l'aider dans cette campagne.
00:44:50Et Édouard Balladur n'a pas ça.
00:44:51– L'argent, c'est le nerf de la guerre.
00:44:54Vous, vous n'aviez pas un parti derrière vous
00:44:56pour financer votre campagne électorale.
00:44:59C'était plus difficile pour vous ?
00:45:01– Oui, mais il y avait eu un budget
00:45:04qui avait été effectué
00:45:06et finalement, nous avons réuni
00:45:08les fonds qui étaient nécessaires
00:45:10et dans la plus parfaite légalité,
00:45:13si c'est ce que vous voulez dire.
00:45:16– Oui.
00:45:16– Oui, dans la plus parfaite légalité.
00:45:18Je n'en dirai pas davantage sur ce point
00:45:20parce que je crois que rarement
00:45:25un scrupule aussi grand
00:45:27a été apporté à la gestion de tout ça.
00:45:30Et j'ai tout à fait confiance
00:45:32dans mes collaborateurs en la matière.
00:45:34– Parce qu'il y a des polémiques
00:45:35qui continuent d'exister.
00:45:36– Oui, il y a des polémiques,
00:45:37mais les polémiques,
00:45:38ce sont des polémiques justement.
00:45:41Et ce n'est pas forcément la vérité.
00:45:44Voilà, je n'en dirai pas plus sur ce sujet.
00:45:46– La messe est dite,
00:45:49circuler, il n'y a rien à ajouter.
00:45:51Mais la question reste entière.
00:45:54Comment Édouard Balladur a-t-il financé sa campagne ?
00:45:57Qui a payé les tracts, les affiches,
00:45:59les t-shirts des militants
00:46:00et leurs déplacements de meeting en meeting ?
00:46:03– Chirac avait des sources importantes.
00:46:07Bon, il avait les caisses du RPR
00:46:10qui étaient tout de même bien pleines.
00:46:12Et croyez-moi, il n'a pas donné un centime
00:46:14à Balladur, évidemment, pour financer la sienne.
00:46:17Donc, Édouard Balladur n'avait pas d'autres ressources
00:46:21que de rechercher des accommodements
00:46:27et des financements parallèles.
00:46:29et qui dit parallèles, dit souvent,
00:46:32des financements un peu souterrains.
00:46:33– La solution vient de François Léotard,
00:46:36ministre de la Défense
00:46:38et soutien de la première heure de Balladur.
00:46:41Il trouve une source de financement juteuse,
00:46:43discrète et accessible
00:46:45dans deux contrats d'armement qu'il a signés.
00:46:49Il porte sur la vente de trois sous-marins au Pakistan
00:46:52et de trois frégates à l'Arabie saoudite.
00:46:55Et il donne lieu à d'importantes commissions.
00:46:57– À l'époque, il était parfaitement autorisé
00:47:02de pouvoir corrompre des agents étrangers
00:47:06dans le cadre de contrats,
00:47:08notamment des contrats d'armement.
00:47:09En revanche, ce qui était parfaitement interdit,
00:47:14c'était de faire revenir une partie de ces sommes.
00:47:18En France, pour pouvoir permettre
00:47:21à ce que des sommes d'argent en liquide
00:47:24soient ensuite versées,
00:47:26versées sur notamment des comptes de campagne.
00:47:30Et apparemment, le compte de campagne
00:47:31d'Édouard Balladur aurait été abondé
00:47:35d'un certain nombre de fonds.
00:47:36Édouard Balladur a expliqué
00:47:38qu'il avait financé sa campagne
00:47:40par le produit des différents meetings
00:47:43et notamment par la vente des T-shirts.
00:47:45Tout cela était parfaitement scandaleux,
00:47:47ubuesque.
00:47:48« Ubuesque », c'est le mot,
00:47:51car le produit de la vente de ces T-shirts le voici.
00:47:54Il tient dans trois bordereaux de remise d'argent liquide.
00:47:58Au total, 10 millions 50 000 francs
00:48:01en billets de 500 francs.
00:48:03Une somme déposée au Crédit du Nord
00:48:04par l'AFISEB,
00:48:06l'association pour le financement
00:48:08de la campagne électorale d'Édouard Balladur.
00:48:10Il s'agit probablement d'une partie
00:48:15des rétrocommissions récoltées
00:48:16par l'équipe Balladur.
00:48:19Leur réalité est confirmée par Charles Millon,
00:48:21bientôt ministre de la Défense de Jacques Chirac.
00:48:24« Je peux dire que j'ai interrompu
00:48:26sous la demande du président de la République
00:48:27tous ces versements.
00:48:28Simplement, il y avait eu des versements préalables
00:48:30qui ont permis sans doute
00:48:32à ceux qui touchaient la rétrocommission
00:48:34d'en toucher les bénéfices. »
00:48:37« Et de financer les campagnes électorales éventuellement. »
00:48:40« Ah ben ça, c'est la justice.
00:48:42Je crois que la justice est saisie,
00:48:43c'est à elle de vous donner la réponse. »
00:48:46Plus de 20 ans après les faits,
00:48:48l'instruction est toujours en cours.
00:48:51Il n'empêche qu'on peut légitimement
00:48:52se poser des questions
00:48:53quand on sait que dans l'équipe Balladur,
00:48:56on ne se privait de rien
00:48:57car l'argent coulait à flot.
00:49:01J'étais épaté de la profusion d'argent
00:49:05qui régnait dans la campagne d'Édouard Balladur.
00:49:08Rien n'était un problème.
00:49:09Tout était simple.
00:49:11La location des salles,
00:49:14les calicots,
00:49:15les déplacements,
00:49:16les autocars,
00:49:17tout allait,
00:49:18tout coulait comme ça.
00:49:20On voyait des gens sortir,
00:49:22sinon avec des valises,
00:49:23mais en tout cas,
00:49:23avec des sourires comme ça,
00:49:26des sourires de ceux
00:49:27qui n'ont pas de soucis d'argent
00:49:29dans la campagne
00:49:29ni dans la vie.
00:49:30C'était une campagne
00:49:32qui baignait dans le fric.
00:49:34Vraiment.
00:49:34Mais cela suffira-t-il ?
00:49:38Car à ce moment,
00:49:39entre en jeu un personnage
00:49:40pour le moins inattendu,
00:49:41François Mitterrand,
00:49:43qui va jouer au chat et à la souris
00:49:45avec les deux candidats.
00:49:46François Mitterrand n'aimait ni Édouard Balladur,
00:49:54ni Jacques Chirac.
00:49:55Il n'aimait ni l'un ni l'autre.
00:49:58Certains jours,
00:49:59en Conseil des ministres,
00:50:01il faisait patte de velours
00:50:02à Édouard Balladur
00:50:04et il le poussait à aller
00:50:07dans tel ou tel sens.
00:50:08Quelques jours plus tard,
00:50:10rencontrons Jacques Chirac,
00:50:12il laissait croire
00:50:13qu'il faisait des confidences
00:50:15à Jacques Chirac
00:50:16et qu'il l'incitait
00:50:17à être candidat.
00:50:18Je me souviens
00:50:18de conversations avec lui,
00:50:20avec François Mitterrand,
00:50:21quand on lui disait
00:50:22« Mais enfin,
00:50:23est-ce que vous pensez
00:50:24que Jacques Chirac
00:50:24pourrait vous succéder ? »
00:50:26Il disait
00:50:27« Mais bien sûr,
00:50:28Jacques Chirac peut me succéder,
00:50:29mais bien sûr,
00:50:30mais tout à fait.
00:50:30Mais alors,
00:50:31qu'est-ce qu'on va rigoler ? »
00:50:32Il ajoutait ça aussitôt.
00:50:33« Mais qu'est-ce qu'on va rigoler ? »
00:50:35Voilà.
00:50:36Donc,
00:50:37François Mitterrand
00:50:39n'était pas dupe
00:50:39des, j'allais dire,
00:50:40des limites
00:50:41de Jacques Chirac.
00:50:44Et il était plutôt
00:50:45en bon terme
00:50:45avec Édouard Balladur.
00:50:46Et puis,
00:50:47l'état de santé de Mitterrand
00:50:48s'est dégradé.
00:50:51Balladur est devenu
00:50:52un homme indispensable,
00:50:54mais malgré tout,
00:50:55il devenait vraiment
00:50:57l'homme
00:50:58qui allait succéder
00:51:00à François Mitterrand.
00:51:02Or, vous savez,
00:51:02c'est quelque chose
00:51:04que les présidents
00:51:05malades n'aiment pas.
00:51:07François Mitterrand
00:51:07ne supporte pas
00:51:08qu'on lui désigne d'avance
00:51:09son successeur.
00:51:11Il se rapproche alors
00:51:12ostensiblement
00:51:13de Jacques Chirac
00:51:14en qui il reconnaît
00:51:16un animal politique
00:51:17de sa trempe.
00:51:18Il se sentait
00:51:19une complicité,
00:51:20malgré tout,
00:51:21François Mitterrand
00:51:22avec Jacques Chirac,
00:51:23la complicité
00:51:24des vieux chefs de guerre,
00:51:25la complicité
00:51:26des hommes
00:51:26qui ont parcouru la France,
00:51:27qui l'ont apprise
00:51:28avec les pieds.
00:51:28C'est des hommes
00:51:29qui se sont
00:51:30beaucoup combattus,
00:51:31Jacques Chirac
00:51:32et François Mitterrand,
00:51:33mais qui,
00:51:34à la fin,
00:51:35s'étaient estimés,
00:51:37s'étaient même appréciés
00:51:38au-delà
00:51:39de ce qui est convenu
00:51:41entre deux anciens combattants.
00:51:43Alors, on a beaucoup dit
00:51:43qu'effectivement,
00:51:44il avait apporté
00:51:45son soutien
00:51:46à Chirac.
00:51:48que je ne l'ai pas
00:51:52constaté
00:51:53très clairement.
00:51:55Vous savez,
00:51:56grosso modo,
00:51:57je crois qu'il n'a pas eu
00:51:59à se plaindre
00:51:59de mon comportement
00:52:00envers lui.
00:52:01François Mitterrand
00:52:02a sciemment joué
00:52:02Jacques Chirac,
00:52:03a envoyé plusieurs
00:52:04de ses hommes
00:52:04comme émissaires
00:52:06pour lui dire
00:52:06qu'il pouvait compter
00:52:07sur lui.
00:52:08Et je crois
00:52:08que l'appui
00:52:09des Mitterrandistes
00:52:10a été très précieux
00:52:12pour la victoire
00:52:13de Jacques Chirac.
00:52:14Et pour la défaite
00:52:15d'Edouard Balladur.
00:52:17Car une sombre histoire
00:52:18éclate alors
00:52:19qui va peser
00:52:20largement dans la balance.
00:52:22Écoutez,
00:52:22il y a eu des journalistes
00:52:23qui effectivement
00:52:24ont fait des articles
00:52:25favorables,
00:52:26d'autres ont fait
00:52:26des articles défavorables,
00:52:28mais grosso modo,
00:52:29ça s'est bien passé
00:52:31jusque
00:52:31à une
00:52:33malheureuse affaire
00:52:36Schouler-Maréchal.
00:52:38De quoi s'agit-il ?
00:52:40D'un règlement de compte
00:52:41entre Chiracien
00:52:42et Balladurien
00:52:43à propos de l'enquête
00:52:44du juge Alphen
00:52:45sur les marchés truqués
00:52:46du RPR
00:52:47en Ile-de-France.
00:52:49Le beau-père
00:52:50du juge,
00:52:50le docteur Maréchal,
00:52:52propose,
00:52:52moyennant finances,
00:52:54d'intervenir
00:52:54auprès de son gendre
00:52:55pour qu'il stoppe
00:52:56ses investigations.
00:52:59Charles Pasqua,
00:53:01persuadé
00:53:01que c'est un piège
00:53:02des Chiraciens,
00:53:03fait mettre
00:53:03le docteur Maréchal
00:53:04sur écoute.
00:53:06Le fait divers
00:53:07devient une affaire
00:53:07d'État
00:53:08lorsqu'Edouard Balladur,
00:53:09mis en cause,
00:53:10est contraint
00:53:11de s'expliquer
00:53:11à la télévision.
00:53:12Moi, j'ai ma conscience
00:53:15pour moi dans cette affaire
00:53:16et je n'accepterai pas
00:53:17d'être mis en cause,
00:53:19je le répète,
00:53:19dans n'importe quelle condition.
00:53:21Alors, si quelqu'un
00:53:22peut prouver
00:53:23que mon gouvernement
00:53:24n'a pas respecté
00:53:25scrupuleusement
00:53:26les règles de la déontologie
00:53:28et de la morale
00:53:29et du respect
00:53:30des droits des personnes
00:53:31en la matière,
00:53:32qu'il vienne ici,
00:53:33invitez-le.
00:53:34Il a été formel
00:53:36lorsqu'il a fait
00:53:37une intervention
00:53:37à la télé
00:53:38au journal de 20 heures.
00:53:39Il a affirmé,
00:53:40mordicus,
00:53:42que mon beau-père
00:53:42n'avait jamais été
00:53:43mis sous écoute.
00:53:45Or, deux jours après,
00:53:47un journal,
00:53:48un hebdomadaire,
00:53:49sort le compte-rendu
00:53:50de ces écoutes-là
00:53:51et on s'est aperçu
00:53:53que l'ordre
00:53:55était venu de Matignon.
00:53:57Quand c'est tombé,
00:53:58il a été pris en flagrant
00:53:59des lignes mensonges,
00:54:00Balladur.
00:54:01De l'écoute téléphonique
00:54:02qui m'a été imputée à tort
00:54:04puisque j'ignorais complètement
00:54:06qu'elle avait été faite.
00:54:07Elle, d'ailleurs,
00:54:08elle n'avait aucun espèce
00:54:09d'intérêt d'aucune sorte
00:54:10et qui a été exploitée
00:54:12pour montrer
00:54:13que je me livrais
00:54:14à des pratiques
00:54:16qui étaient tout à fait
00:54:16condamnables,
00:54:17ce qui était faux.
00:54:18Les sondages ont su
00:54:19tait de plus de 10%
00:54:21d'intentions de vote
00:54:22dans les 15 jours
00:54:23qui ont suivi.
00:54:26La panique gagne
00:54:27le clan Balladur
00:54:28et les Chirakiens
00:54:29veulent donner
00:54:29le coup de grâce.
00:54:30La confrontation
00:54:32prend un tour
00:54:33nauséabond.
00:54:34Les équipes se rendent
00:54:35coup pour coup
00:54:36sans retenue.
00:54:37Les rumeurs,
00:54:38les tracts,
00:54:38les libelles anonymes,
00:54:40souvent diffamatoires,
00:54:41affluent dans les rédactions.
00:54:43Commencent à circuler
00:54:44des bruits
00:54:44absolument odieux,
00:54:46enfin,
00:54:47toute une série de choses
00:54:48qui n'ont rien
00:54:49de politique
00:54:49et qui n'ont pour but
00:54:52que de détruire
00:54:54l'adversaire.
00:54:55Entre autres gracieusetés,
00:54:58Jacques Chirac
00:54:58serait cocaïnoman
00:54:59et Édouard Balladur
00:55:01pas vraiment français
00:55:02car né à Smyrne
00:55:04en Turquie.
00:55:05C'est quand même
00:55:06toujours le problème
00:55:08des politiques.
00:55:10Ce ne sont pas les idées,
00:55:11c'est les hommes
00:55:11qu'on veut abattre.
00:55:12Je ne détruis pas
00:55:13le programme
00:55:14de mon adversaire,
00:55:16je veux sa peau.
00:55:18Cette lutte
00:55:19sans merci
00:55:19dure jusqu'au jour
00:55:20du vote
00:55:21car Édouard Balladur
00:55:22qui multiplie
00:55:23les sorties
00:55:24sur le terrain
00:55:24reprend quelques points
00:55:25dans les sondages.
00:55:27Cela ne suffira pas.
00:55:31Au soir du premier tour,
00:55:33le 23 avril,
00:55:34le socialiste
00:55:35Lionel Jospin
00:55:36arrive en tête,
00:55:37suivi de Jacques Chirac
00:55:38et Édouard Balladur
00:55:39se retrouve
00:55:40en troisième position.
00:55:42L'écart
00:55:43entre les deux candidats
00:55:43de droite
00:55:44s'est joué
00:55:45à moins de 700 000 voix.
00:55:47La pilule est amère.
00:55:49Tout démontre
00:55:50que les Français
00:55:51l'ont décidé,
00:55:53c'est M. Jospin
00:55:55et M. Chirac
00:55:56qui seront
00:55:57présents
00:55:58au...
00:55:59Je vous demande
00:56:01de vous arrêter.
00:56:04Je vous demande
00:56:04de vous arrêter.
00:56:07Les jeux sont faits.
00:56:09La victoire
00:56:09de Jacques Chirac
00:56:10au second tour
00:56:10ne fait plus de doute.
00:56:13Au soir du 7 mai,
00:56:14il l'emporte largement
00:56:16sur Lionel Jospin.
00:56:18Et le pourcentage
00:56:19de la victoire
00:56:20pour le nouveau président
00:56:21de la République.
00:56:22Cinquième président
00:56:23de la Vème République,
00:56:25Jacques Chirac,
00:56:2652%
00:56:27des suffrages
00:56:28exprimés aujourd'hui.
00:56:32Quelques jours plus tard,
00:56:33François Mitterrand
00:56:34laisse le palais
00:56:35de l'Elysée
00:56:35à son successeur.
00:56:39Monsieur le président
00:56:40de la République,
00:56:43le Conseil constitutionnel
00:56:44a constaté
00:56:45que vous avez recueilli...
00:56:46Roland Dumas,
00:56:47tout nouveau président
00:56:48du Conseil constitutionnel,
00:56:50valide l'élection
00:56:51et proclame
00:56:51Jacques Chirac
00:56:52président de la République.
00:56:55Et pourtant,
00:56:56cette élection,
00:56:57nous la prendrons
00:56:58bien plus tard,
00:56:59est entachée
00:56:59d'irrégularités financières
00:57:01qui auraient pu,
00:57:02en théorie,
00:57:03la faire annuler.
00:57:04C'est vrai qu'il y avait
00:57:09quand même
00:57:10quelques petites anomalies,
00:57:12aussi bien dans le compte
00:57:13de Balladur
00:57:13que dans celui de Chirac.
00:57:14Mais,
00:57:16Chirac est élu
00:57:16par le peuple français.
00:57:18Il va aller
00:57:19autour de la France
00:57:20dans les conférences
00:57:20internationales.
00:57:22Il va aller à New York,
00:57:23il va aller à Moscou,
00:57:24il va aller un peu partout.
00:57:25Et là,
00:57:25vous imaginez
00:57:26ce que sont
00:57:27les conférences internationales
00:57:28avec tous les collaborateurs
00:57:29les uns et les autres.
00:57:30Tu as vu le français
00:57:31le mal élu,
00:57:32tu sais,
00:57:32il est contesté,
00:57:33etc.
00:57:34Je me suis dit
00:57:35il faut quand même
00:57:35éviter ça.
00:57:36Et donc,
00:57:37on a validé les comptes.
00:57:38La position que j'avais prise
00:57:40a été approuvée
00:57:40par les deux membres
00:57:41du Conseil constitutionnel.
00:57:43Il n'y a plus rien à dire
00:57:43en partie de là.
00:57:45Unanimité,
00:57:46donc,
00:57:47pour que la vie politique
00:57:48reprenne son cours
00:57:49tranquille.
00:57:50Mais malgré la victoire,
00:57:52à droite,
00:57:53rien n'est plus comme avant.
00:57:54Là,
00:57:55la fracture est extrêmement importante
00:57:56et elle va durer.
00:57:58Chirac ne nommera pas
00:57:59beaucoup de Balladurien,
00:58:01voire aucun Balladurien
00:58:02dans son gouvernement.
00:58:03comme pour marquer
00:58:05que, voilà,
00:58:05c'était irréparable.
00:58:08Il faudra des années
00:58:09pour que certains
00:58:10arrivent même
00:58:11à se reparler.
00:58:12Et ils ne s'en seront
00:58:13jamais remis,
00:58:15je crois,
00:58:15ni Jacques Chirac,
00:58:16ni Édouard Balladur.
00:58:17Et je pense que
00:58:18l'échec,
00:58:19d'ailleurs,
00:58:20du premier septennat
00:58:22de Jacques Chirac
00:58:23vient pour beaucoup
00:58:25de cette bataille-là.
00:58:27parce que quand Jacques Chirac
00:58:28a été élu,
00:58:29il aurait dû rassembler,
00:58:30il aurait dû ouvrir
00:58:31les bras
00:58:31et il en a été
00:58:32complètement incapable
00:58:33à la falloir
00:58:34qu'en principe
00:58:35le roi de France
00:58:36doit pardonner
00:58:37les offenses faites
00:58:38aux princes.
00:58:39Il n'y aura point
00:58:41de pardon
00:58:41ni d'indulgence.
00:58:44Mais pouvait-il
00:58:45en être autrement ?
00:58:46La conquête du pouvoir
00:58:47est un combat
00:58:48sans merci
00:58:49et pour les hommes politiques,
00:58:51tels les gladiateurs
00:58:52descendant dans l'arène,
00:58:53c'est la victoire
00:58:54ou la mort.
00:58:56Le spectacle est assuré,
00:58:58mais au bout du compte,
00:59:00qu'en est-il
00:59:00des idées
00:59:01qui font progresser
00:59:02la société ?
00:59:03Il y avait
00:59:04chez Édouard Balladur
00:59:05une distance,
00:59:07une froideur
00:59:08qui n'avait rien à voir
00:59:09avec les qualités
00:59:10nécessaires
00:59:13pour être élu,
00:59:13en fait.
00:59:14Mais la question demeure,
00:59:15est-ce que les qualités
00:59:16pour être élu
00:59:17dans les démocraties
00:59:18médiatisées modernes
00:59:19sont les qualités
00:59:20nécessaires pour gouverner
00:59:21ou pour présider ?
00:59:23La question reste ouverte.
00:59:31Et ce serait à refaire
00:59:33que j'accepterais à nouveau
00:59:35de diriger le gouvernement
00:59:36et j'accepterais également
00:59:41à nouveau d'être candidat.
00:59:43Mais peut-être qu'avec
00:59:44l'expérience que j'ai faite,
00:59:46je serais un meilleur candidat
00:59:48que je n'ai été.
00:59:49Je n'ai pas été
00:59:50un très bon candidat.
00:59:52Mais de toute façon,
00:59:53le problème ne se pose plus
00:59:54et pour moi,
00:59:56je suis dans la sérénité
00:59:57de l'âge.
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